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Épiphanie 2

Photo du rédacteur: MDMD

Wittgenstein (2) - petits commentaires et considérations cliniques à partir de la proposition 7. du Tractatus... - "Wovon man nicht sprechen kann, darüber muß man schweigen" (traduite au plus près, en anglais: " Whereof one cannot speak, thereof one must be silent")

traductions, ambiguïtés et allusions -

Il m'a semblé intéressant de reprendre le texte allemand, non que je sois capable de le commenter directement (je ne connais pas l'allemand) mais il en existe différentes en français (les deux étant publiées chez Gallimard): a. la première date de 1961; elle est de Klossowski: «ce dont on ne peut parler, il faut le taire». Je l'ai déjà critiquée à différents endroits, parce que je trouve que, logiquement parlant, il me semble qu'elle pêche par un manque de rigueur – et c’est ce qui me paraissait étonnant chez Wittgenstein. Je m'explique : à proprement parler, si je ne peux parler de quelque chose, je me tais nécessairement. Bien entendu, en français, une certaine ambiguïté demeure, inhérente à la langue même (ce que Lacan appelle "lalangue"), c'est à dire qu'elle est due à l'ambiguïté du signifiant « pouvoir », qui ne semble pas exister en allemand ou en anglais.

Plusieurs acceptions sont en effet autorisées pour le verbe « pouvoir » ; retirons-en la permission, la capacité et la possibilité.

Ce dont il ne m’est pas permis de parler (interdit, censure) je peux l’affronter, le contourner, etc. : c’est toute une partie du travail du rêve, par exemple. Ou encore, je pourrais braver l’interdit. Je peux le taire aussi - mais je sors de la règle fondamentale de l'analyse. On voit que dans ce cas, si on « tait » ce dont il n’est pas permis de parler, cela équivaut à une contrainte morale ; je n’imagine pas que ce soit dans ce sens que parle Wittgenstein, mais on voit, avec le travail d’interprétation et de déchiffrement du rêve, que cela correspond à une partie de la clinique.

Sur un autre versant, ce dont je n’ai pas la possibilité (ou la capacité) de parler… [silence, nécessairement] Il ne saurait être question de le taire : on ne peut taire ce qu’on n’a pas la capacité ou la possibilité de dire. Taire suppose ne pas dire un énoncé qu’on pourrait dire. Les mots manquent.

Là encore, il y a (au moins) deux possibilités : soient les mots me manquent, dans telle situation où ils sont retenus (disons : par le refoulement secondaire, de toute évidence) mais peuvent revenir ou être retrouvés : c’est tout un travail d’allusions, d’évocation et d’interprétation, dont Freud nous entretient tout au long de son œuvre. Au reste, nous dit-il, ce qui se vérifie dans la pratique clinique au fil des cures, ce qui ne peut être mis en mots se répète – précisément dans le transfert. Ce que Lacan traduira, si j’ose dire, par « le transfert est la mise en acte de la réalité de l’inconscient ».

Soient encore (étape suivante) les mots ne me manquent pas spécialement, mais ils manquent radicalement. Il y a des choses pour lesquelles les mots manquent ; plus radicalement, les mots, tout en en arrachant toujours une part de vérité, manquent toujours radicalement à dire la chose (réelle). Il y a toujours un écart entre la chose dite et l’acte de dire (la chose).

On peut dire ces choses de manières diverses – c’est ce à quoi s’est essayé Wittgenstein : aussi je pense qu’il nous parle d’une manière très précise des limites du langage ; c’est ce dont rend compte Lacan aussi en disant, par exemple, que le « grand Autre » (le trésor des signifiants) est nécessairement incomplet, troué ; et c’est aussi ce que dit Freud quand il parle de l’ombilic du rêve ou du refoulement primaire.

Donc : je récuse, de cette manière, la traduction de 1961 : ce dont on ne peut parler, il faut le taire. Au reste, taire est un acte sur un énoncé, qu’on retient là où il aurait dû être exposé ; « taire » ne peut donc se faire que sur quelque chose qui autrement pourrait se dire.

Par contre, la deuxième traduction (qui, colle, me semble-t-il, au plus près au texte allemand ou anglais), ne pose pas la question de la même manière du tout et apporte du coup quelque chose de différent : au lieu de pointer l’obligation de taire ce qui dirait le réel, il y est question non pas de taire l’énoncé, mais de se taire à propos de l’indicible – puisque c’est indicible. Si l’on se tait à propos de l’indicible, force est de constater qu’on ne parlerait plus du tout, puisque tout énoncé renvoie essentiellement non pas à un objet qu’il viserait, mais à un signifiant qui ne le recouvre jamais totalement : le parlêtre est ainsi condamné à balbutier – mais c’est dans ce balbutiement qu’il désire, et donc vit, le désir relançant toujours le mouvement.

Dès lors, je pense que c’est ce qui donne un sens à une cure ; tout en respectant qu’il y a de l’indicible, rien ne sert de se taire à son propos : se taire, si c’est possible (là où taire la chose ne l’était pas), tue pourtant le dire, qui est précisément ce qui relance le désir dans la cure analytique – comme on pourra le développer. Ce qui rejoint la très jolie formule de Lacan, pas si difficile qu’il y paraît : qu’on dise reste oublié derrière ce qui se dit dans ce qui s’entend. Le sujet, immaîtrisable, insaisissable, s’énonce de là où il ne se sait pas ; c’est pourtant ce sujet (inconscient) qui est visé par l’analyse, c’est-à-dire par l’intervention de l’analyste. Bien entendu, en parler ne saurait rendre dicible l’indicible (qui n’est pas ce que l’on tait), mais permet peut-être de l’approcher à chaque fois de manière plus précise – tout en ne l’atteignant de toute façon jamais.

Une des conséquences cliniques les plus claire de cette situation, c’est qu’il est non seulement faux, mais inopérant, de considérer l’inconscient comme un sac qu’on arriverait en fin de cure à vider de son contenu : il était déjà vide, sinon des possibilités même de l’acte de parler.

(… à suivre et à développer)



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